• Chapitre 5 : Retour chez soi

    Le vent soufflait, faisant virevolter le bas de la robe de Luciana et ses cheveux châtains. La princesse avait embarqué, un peu plus tôt, sur un navire qui la ramenait chez elle. Debout sur le pont, Luciana ne distinguait déjà plus ni le prince Antonio ni Rosella. Toutefois, elle voyait encore le rivage qui s'éloignait doucement. Luciana avait la gorge nouée par l'appréhension. Elle retournait chez elle.... avec sa mère.

    La reine Ariana était détenue sur le même navire que la princesse Luciana. Elle se trouvait, enfermée, dans une cale du bateau. Elle était traitée comme une prisonnière... C'était bien ce qu'elle était malgré le fait qu'elle portait toujours le statut de reine. Luciana ne l'avait toujours pas revue et elle ne trouvait pas la force de s'approcher de la reine Ariana. Elle avait essayé d'aller lui rendre visite avant son transfert des cellules du roi Peter au bateau... Mais à chacun de ses pas, la jeune femme avait senti ses genoux se dérober sous ses pieds. Elle avait fini par s'arrêter avant de s'écrouler, le souffle coupé. Elle n'avait même pas fait la moitié du chemin entre sa chambre et la cellule où se trouvait la reine Ariana. Avant que quelqu'un ne la voit dans cet état au beau milieu d'un couloir, Luciana s'était relevée et avait rebroussé chemin.

    L'équipage du navire était uniquement composé d'hommes venant de royaume de Luciana. Tous portaient un grand respect pour Luciana et la regardaient un peu avec pitié. Elle ne doutait pas qu'ils avaient aussi un profond sentiment de trahison vis-à-vis de la reine. Ils avaient conduit la reine Ariana et la princesse Luciana avec l'espoir que la princesse épouse le prince Antonio et que cela amène, par la suite, des accords commerciaux. Au lieu de cela, ils repartaient bredouilles avec une reine déchue qui avaient tenté de tuer une famille royale, au moyen du poison.

     

    La première nuit sur le bateau fut difficile pour la princesse Luciana. Elle était dans un lit confortable, dans une cabine privée disposant de tout ce dont elle pouvait avoir besoin alors que sa mère était enfermée, privée de tout confort, non loin d'elle. C'était compliqué à accepter pour la jeune femme. Elle se tournait et se retournait dans son lit avec agitation. Quand elle foulerait de nouveau les pieds sur la terre, elle serait chez elle, dans son royaume. Et quand elle arriverait à la capitale, Ariana se verrait retirer son titre de reine... Et elle, Luciana, ne serait plus une princesse. On la couronnerait reine.

     

    Luciana sortait rarement de sa cabine. Elle se sentait incapable de supporter trop de compagnie. De plus, la princesse se préparait à endosser un nouveau rôle. Elle devrait bientôt représenter son royaume et le gouverner. Cependant, à force de tourner en rond dans sa cabine, pas de si grande que cela, Luciana avait les pensées de plus en plus sombres et cogitait de plus en plus. Elle ressentit alors un vif besoin de prendre l'air.

    Une fois sur le pont, Luciana prit une grand inspiration. L'équipage s'affairait à ses occupations. Luciana hésitait à aller voir sa mère. L'envie était de plus en plus forte mais elle ne savait pas si elle en était capable. Appuyée contre la balustrade, le regard de Luciana se perdait dans le contemplation de l'horizon.

    Un toussotement sortit la princesse de ses pensées. Elle se retourna afin de faire face à son interlocuteur. Il s'agissait d'un homme de l'équipage dont le yeux bleus et le visage n'étaient pas inconnus à Luciana. Elle ne réussit pas à cacher sa surprise.

    « Le capitaine aimerait vous parler, votre altesse.

    Il s'inclina et tourna les talons pour retourner à son poste.

    -Attendez ! l'interpella Luciana en avançant d'un pas dans sa direction.

    Le marin se stoppa et lui fit de nouveau face.

    -Votre altesse ?

    Luciana hésita. Se trompait-elle ?

    -Quel est votre nom ?

    -Alvaro.

    La princesse cligna des paupières plusieurs fois.

    -Excusez-moi, j'ai dû vous confondre avec quelqu'un d'autre. »

    Elle laissa le marin partir tandis qu'elle rejoignit le capitaine. Le jeune homme à qui elle venait de parler était le portrait craché de l'ami du prince Antonio, Julio de La Novale. Bien sûr, c'était impossible... Tout l'équipage venait de son royaume à elle. De plus, Julio était un noble et pas un marin...

    Quand elle trouva le capitaine, sur la proue du bateau, celui-ci fut étonné d'apprendre qu'on lui avait demandé de venir le voir. Il lui assura qu'il n'avait rien à lui transmettre comme information et qu'il n'avait donné aucun ordre à un certain Alvaro. Luciana ne voulait aucunement que quelqu'un prenne des remontrances.

    « J'ai du mal comprendre.... Capitaine, j'aimerais rendre visite à ma mère. »

    Après de nombreuses réflexions, la princesse Luciana s'était rendue à l'évidence. Elle serait toujours tourmentée tant qu'elle n'aurait pas vu sa mère. Le capitaine accepta immédiatement la requête de sa future reine. Luciana demanda à être accompagnée. Elle sentait que si elle se rendait seule auprès d'Ariana, le courage lui manquerait, encore une fois. Il lui fallait un témoin. Le capitaine n'eut rien à redire là-dessus et il la prévint qu'il lui enverrait quelqu'un dans une heure. Après cette conversation, et en attendant d'aller voir sa mère, Luciana retourna dans sa cabine.

     

    A peu près une heure après son entrevue avec le capitaine, quelqu'un toqua, effectivement, à la porte de la cabine de la princesse Luciana. Cette dernière se leva de la banquette sur laquelle elle était assise, et posa le livre qu'elle était en train de lire pour aller ouvrir. Elle fut étonnée de découvrir Alvaro derrière la porte.

    « Votre altesse, dit-il en s'inclinant devant elle. Le capitaine m'envoie vous... accompagner.

    -Le capitaine vous confie beaucoup de tâches, répondit-elle sur un ton neutre.

    -J'obéis simplement aux ordres, votre altesse.

    Un petit sourire en coin et un regard moqueur s'affichèrent sur le visage d'Alvaro.

    -Aurais-je dis quelque chose de drôle ?

    -Aucunement. »

    Alvaro se déplaça d'un pas sur le côté afin de laisser passer la princesse pour qu'elle puisse sortir de sa cabine.

     

    La princesse Luciana sentait son cœur tambouriner de plus en plus fort et de plus en plus vite dans sa poitrine à mesure qu'elle s'approchait de la cellule de sa mère. Alvaro marchait devant elle tandis qu'ils descendaient un escalier. Tout était silencieux. Luciana n'avait pas adressé la parole au marin depuis qu'ils s'étaient mis en route.

    Enfin, la princesse et le marin arrivèrent dans la partie du bateau contenant les cellules. Il n'y en avait que trois. Deux étaient inoccupées et dans la dernière, celle qui était le plus éloignée de l'entrée du couloir, se trouvait Ariana.

    « Princesse Luciana ? Demanda Alvaro en constatant que Luciana n'avançait plus et était stoppée à l'entrée du couloir longeant les cellules.

    -J'arrive. »

    Ses mots n'avaient été qu'un murmure. Pourtant, le hochement de tête d'Alvaro lui signifia qu'il avait bien entendu.

    Tel un automate, les pieds de la princesse Luciana la firent avancer. Elle ne s'arrêta que lorsqu'elle se trouva devant la cellule où se trouvait sa mère. Elle prit une grande inspiration avant de faire face à celle-ci.

    Ariana avait les yeux qui brûlaient de fureur. Dans ces derniers, une leur malveillante irradiait. Elle était assise dans la poussière, portant une robe modeste. Ses cheveux roux étaient détachés et emmêlés.

    « Ma chère fille daigne enfin me rendre visite.

    Avant qu'elle n'ait le temps de répondre à Ariana, Alvaro prit la parole pour s'adresser à la princesse Luciana.

    -Je vous laisse lui parler. »

    Suite à ces paroles, Alvaro s'éloigna, tout en restant dans le champ de vision de la princesse.

    Luciana chercha ses mots. Elle avait pourtant imaginé cette scène de nombreuses fois. Mais elle ne trouva rien à dire. Ariana la dévisagea pendant de très longues secondes.

    « Mère...

    Après ce simple mot, Luciana avait espéré que la suite viendrait tout seul. Force était de constater que ce n'était pas le cas.

    -Te sens-tu coupable ? Si j'en suis là, c'est uniquement de ta faute ! Fille ingrate ! »

    Le mépris dégoulinait dans chaque parole qui sortait de la bouche d'Ariana. Luciana serra les poings. Elle ne trouvait rien à répliquer ni rien à répondre... car, au fond d'elle, elle savait que ces mots reflétaient une certaine vérité. C'était bien elle qui avait révélé le fait qu'Ariana avait vraiment voulu tuer le roi Peter, la reine Danielle et le prince Antonio. Elle était donc, en grande partie, responsable de l'arrestation d'Ariana et de sa déchéance.

    Ariana se leva tout d'un coup, s'approchant des barreaux de sa cellule et donc de Luciana. La prisonnière agrippa ces derniers et regarda Luciana droit dans les yeux.

    « Je t'ai tout donné depuis ta naissance ! Tu as tout eu, Luciana ! Tout ! Les meilleurs plats t'ont été servi, tu as eu la meilleure des éducations, les meilleurs des professeurs ! J'ai tout fait pour toi ! Je t'ai élevé afin que tu ais tout ce dont tu voulais !

    Luciana n'en pouvait plus de ce flot de reproches. Elle, qui était si calme, sortit de ses gonds, les larmes aux yeux.

    -Vous n'avez jamais pensé à ce que je voulais, mère ! Tout ce que vous avez fait, c'était pour arriver à vos fins. Vous m'avez utilisé toute ma vie pour atteindre vos buts ! Mère...

    Les yeux de la princesse lui piquaient atrocement.

    -Cesse de m'appeler « mère » ! Tu n'as que ce mot à la bouche. Tu n'es même pas ma fille, sale petite ingrate ! »

    Ariana cracha au visage de la princesse. Cette dernière ne répondit même pas et n'eut aucune réaction. Elle avait les yeux grands ouverts de stupeur. La dernière phrase prononcée par Ariana résonnait en elle, formant un écho assourdissant. Luciana se retrouvait face à un nouveau mensonge... et ce dernier était celui de trop, celui qui sonnait le glas. Tremblante et en état de choc, Luciana recula. Elle avait l'impression que le monde s'écroulait autour d'elle.... Elle sentit sa tête tourner et elle ne remarqua même pas que ses jambes s'étaient dérobées sous elle. A terre, Luciana peinait à respirer de façon normale.

    Alvaro se précipita vers la princesse et l'aida à se relever. Il voyait bien qu'elle était en état de choc. Il avait entendu toute la conversation entre les deux femmes mais il ne fit aucun commentaire. D'un ton tranchant, il déclara :

    « Je vous raccompagne à votre cabine, votre altesse. »

    La ramener jusqu'à sa chambre ne fut pas une chose aisée. Luciana ne semblait plus vraiment là. Son esprit était ailleurs, digérant une information qui venait de la chambouler, une fois de plus. Alvaro la soutint tout le long du trajet. Il s'arrangea pour ne croiser aucun membre de l'équipage. Personne n'avait besoin de voir la princesse Luciana dans cet état.

     

    Une fois Luciana assise dans ses quartiers, Alvaro se dépêcha de lui trouver un mouchoir afin qu'elle s’essuie le visage. Il pesta en constatant qu'elle ne réagissait pas alors qu'il lui tendait le bout de tissu.

    -Excusez-moi votre altesse, ce n'est pas très protocolaire mais je n'ai pas le choix. »

    Il n'attendit aucune réponse de sa part et il lui nettoya le visage. Ensuite, Alvaro s'occupa de lui servir un verre d'eau. Remarquant que Luciana ne réagissait toujours pas, il posa le verre d'eau sur la table la plus proche avant de se mettre à la même hauteur que la princesse.

    « Vous devez vous ressaisir.

    Il posa ses mains sur les épaules de la jeune femme et la secoua légèrement.

    -Vous ne pouvez pas fléchir. Personne ne doit vous voir dans cet état. Personne ne vous a vu ainsi. »

    Luciana cligna des yeux et le fixa avec un regard perdu. Ses lèvres tressaillirent avant qu'elle ne fonde en larmes. Elle s'effondra dans les bras du jeune homme qui se retrouva décontenancé et grimaça. Gérer une femme en pleure n'était pas dans ses habitudes ni dans ses cordes. Il lui tapota pendant de longues minutes le dos, en silence, espérant qu'elle se calme rapidement.

    Une fois les sanglots de la princesse terminés, il se releva et s'éloigna de plusieurs pas, retendant le verre d'eau à Luciana. Cette fois-ci, la princesse le prit et but, son regard fixé vers le sol.

    « Je suis désolée, balbutia-t-elle.

    -Il ne s'est rien passé. Vous avez parlé avec votre... avec la reine Ariana et je vous ai raccompagné à votre cabine. Je dirais au capitaine que vous êtes fatiguée. Votre dîner vous sera apporté ici. Reposez-vous. »

    Alvaro savait qu'elle ne répondrait rien. Il s'éclipsa avant qu'elle ne retrouve un semblant de pensée cohérente.

     

    Si Luciana sortait peu de sa cabine avant sa confrontation avec sa mère, elle en sortit encore moins après. Les seuls moments où elle se montrait, c'était lors des dîners en compagnie du capitaine. Elle faisait alors bonne figure et endossait son personnage de princesse modèle. Elle ne croisa plus une seule fois Alvaro.

     

    La dernière nuit sur le bateau arriva. Le lendemain, à l'aube, elle poserait les pieds chez elle, sur sa terre... sur la terre où elle serait couronnée reine dans les jours suivants. Tard dans la nuit, Luciana entendit qu'on frappait à sa porte. Elle ne dormait pas et se leva. La jeune femme n'était pas tout à fait sereine. Après tout, aucune personne raisonnable ne pouvait lui rendre visite à telle heure. Luciana se positionna derrière la porte :

    « Qui est-là ? demanda-t-elle sur la défensive.

    -Alvaro. »

    Quelques secondes passèrent avant que la jeune femme ne tourne le loquet de sa porte pour la déverrouiller. Le couloir était plongé dans le noir, elle avait du mal à distinguer Alvaro dans la pénombre. Il ne bougea pas.

    « Venez. Vous avez besoin de prendre l'air, votre altesse.

    -Je pense savoir mieux que vous ce dont j'ai besoin.

    Luciana put entendre un léger rire s'échappant d'Alvaro. Elle devina le sourire en coin qu'il devait arborer.

    -Croyez-moi, un peu d'air frais vous fera le plus grand bien, princesse.

    Il lui prit la main pour la faire avancer et sortir de sa cabine. Luciana ne bougea pas et retira sa main.

    -Je veux juste dormir. Et, ne vous montrez pas aussi familier avec moi.

    -Demain, vous ne pourrez plus vous cacher. Vous serez le centre de l'attention et vous aurez le poids d'une couronne sur la tête par la suite.

    -Vous ne savez pas de quoi vous parlez.

    Le jeune homme prit quelques secondes avant de répondre.

    -Me faites-vous confiance ?

    Cette question dérouta la princesse.

    -Non. Bien sûr que non. Je ne vous connais pas. Vous... m'avez aidé. Et je vous en remercie mais je ne peux pas parler de confiance.

    -En voilà une réponse honnête.

    Pour la seconde fois en quelques minutes, Luciana put entendre Alvaro rire.

    -Et vous avez sans doute raison de ne pas me l'accorder. Mais nous sommes dans le même camp. Je suis un... ami.

    Alvaro retenta de lui prendre le bras pour l’emmener. La panique s'empara de Luciana. Il venait encore de se montrer familier et elle réagit avec automatisme : elle donna un coup de pied dans le mollet de son interlocuteur. Alvaro se recula d'un pas.

    -Bon, reprenons, vous vous rappelez de notre première rencontre ?

    Luciana était retournée dans sa chambre et avait quasiment refermé sa porte.

    -Vous m'avez fait passé un faux message de la part du capitaine.

    Pour la troisième fois, Alvaro se mit à rire.

    -Je ne parle pas de cette fois-là. Vous rappelez-vous de la question que vous m'avez posé lorsque je vous ai dit que le capitaine vous cherchez ?

    Luciana fouilla dans sa mémoire. Il ne fallut que quelques secondes pour comprendre là où son interlocuteur voulait en venir.

    -Votre vrai nom n'a jamais été Alvaro », déclara-t-elle dans un souffle.

    Bien qu'elle ne puisse pas voir le visage de son interlocuteur, Luciana ne doutait pas qu'un sourire en coin avait fleuri sur sa bouche. Elle ne protesta pas lorsqu'il lui prit de nouveau le bras pour l'entraîner à sa suite. Elle se laissa guider jusqu'au pont du bateau. Tout un tas de questions germaient dans sa tête de seconde en seconde.

     

    Une fois sur le pont, Luciana se rendit compte que celui-ci était vide. Elle entendait les hommes d'équipage chanter au loin, mais elle ne les voyait pas.

    « Les eaux sont calmes, le capitaine nous laisse jouer aux cartes et boire du rhum pour fêter notre arrivée prochaine. »

    C'était comme si le jeune homme avait lu dans les pensées de la princesse Luciana. Les deux jeune gens s’arrêtèrent une fois arrivés près de la balustrade.

    Les minutes défilèrent en silence, bercées par le bruit des vagues. La Lune brillait intensément dans le ciel et les étoiles éteincelaient de milles éclats, se reflétant sur l'eau. La princesse Luciana était sensible au spectacle qui s'offrait devant ses yeux.

    « C'est magnifique, n'est-ce pas ?

    -J'ai tout un tas de questions...

    -Je sais. Et je ne répondrais pas à toutes, princesse. Du moins, pas ce soir.

    Luciana se crispa.

    -Restons-en à « votre altesse ». Votre amitié avec le prince Antonio ne signifie en aucun cas que nous sommes proches, Julio de la Novale.

    -Ne prononcez pas ce nom, répondit-il immédiatement avec un ton glacial. Je m'appelle Alvaro, du moins, jusqu'à nouvel ordre.

    -Pourquoi est-ce que vous vous faites passer pour un homme de mon royaume ? Et pour un marin ?

    -Etre noble et marin est-il une chose impossible ?

    -Quand on prend une identité différente de la sienne, oui.

    -Tout ce que vous devez savoir, c'est que je suis en mission pour le compte d'Antonio. »

    Luciana comprit qu'elle n'aurait pas plus d'informations même si cette révélation continuait de faire naître des interrogations.

    Julio se mit dos à la balustrade avant de s'y accouder.

    « Et que je suis un allié.

    -Pardon ?

    -Au risque de me répéter, nous sommes dans le même camp. Ou plutôt, je suis dans votre camp. C'est tout ce que vous avez besoin de savoir pour le moment. »

    Suite à ces paroles, un silence s'installa de nouveau. Luciana se lança dans une contemplation du ciel étoilé. Julio lui déclara alors qu'il revenait d'ici quelques minutes en lui intimant de ne pas bouger. Luciana ne répondit rien et attendit le retour de son interlocuteur. Elle se demandait quel était le but de Julio et pourquoi Antonio lui avait-il donné une mission... Elle se demanda également qui était réellement Julio.

    Lorsque Julio revint, il avait une bouteille de rhum à la main. Il l'ouvrit et prit quelques gorgées sous le regard médusé de Luciana.

    « Quoi ? Tout l'équipage est ivre. Alvaro ne peut pas être le seul homme sobre.

    Et après cela, il reprit quelques gorgées.

    -Vous parlez souvent de vous à la troisième personne ?

    -Quand je joue un rôle, oui.

    Il lui tendit la bouteille de rhum.

    -Vous en voulez ?

    Luciana écarquilla les yeux de stupéfaction.

    -Non merci. »

    Julio haussa les épaules et remit le bouchon sur la bouteille. Il laissa Luciana profiter de la vue nocturne encore quelques minutes avant de lui déclarer qu'il serait plus sage qu'elle regagne sa cabine. Il devait retourner avec le reste de l'équipage afin que personne ne constate sa trop longue absence et il se refusait à la laisser seule sur le pont.

     

    La princesse Luciana avait mis une tenue de circonstance pour son retour chez elle. Elle avait sortit une tenue de cérémonie haute en couleur et finement brodée. La posture de la princesse était raide et elle gardait la tête haute. Plus rien ne devait l’atteindre. Du bateau jusqu'à la calèche qui l’emmènerait à la capitale, Luciana avança lentement avec élégance. Elle s'avachit une fois à l'ombre des regards. Sa mère serait escortée plus tard jusqu'à la capitale. Lorsqu'elle arriverait, Luciana y serait déjà depuis un bon moment.

     

    A son arrivée à la capitale, Luciana ouvrit les rideaux de la calèche. Elle devait faire bonne figure devant le peuple et se montrer. Elle trouva étrange le comportement des citoyens. Elle sentait des regards fuyants et certains amplis de colère. La nouvelle de la trahison d'Ariana avait dû arriver jusqu'ici au vu de l'ampleur du scandale... Mais elle n'était pas Ariana. De ce qu'elle savait, Luciana avait toujours eu les faveurs et l'amour du peuple.

    Arrivée au château, autre chose étonna la princesse. Le comité d'accueil était vraiment restreint. Luciana n'était pas superficielle mais elle connaissait parfaitement les usages protocolaires.

    Un haut gradé de la garde vint à sa rencontre et s'inclina devant Luciana.

    « Votre altesse, le duc Orlando vous attend. »

    Luciana réussit à masquer sa surprise. Le duc Orlando aurait dû se trouvait là, à l'accueillir.. Pas la convier de le rejoindre. Un sentiment de malaise se fraya un chemin en Luciana. Quelque chose clochait. Toutefois, Luciana ne pouvait pas faire autrement que de suivre le garde.

    Luciana fut conduite dans la salle du trône. Elle garda la tête haute même en constatant que le duc Orlando était assis sur ce dernier. Il ne lui manquait que la couronne pour avoir l'air totalement du souverain. Or, la couronne appartenait encore à Ariana et reviendrait bientôt à Luciana. Une petite voix lui indiquait dans sa tête qu'elle devait se méfier.

    « Quel plaisir de vous retrouver, Luciana. »

    Elle nota qu'il n'avait clairement pas prononcé son titre et qu'il ne s'était pas lever du trône pour faire un pas vers elle. Les mains jointes devant elle, Luciana fit quelques pas pour se rapprocher du duc Orlando. En même temps, elle observa la salle du trône. Il y avait quelques nobles.. mais beaucoup moins qu'il aurait dû en avoir pour le retour de la princesse.

    « Duc Orlando, je suis ravie d'être de nouveau chez moi.

    -Le voyage a dû être long, vous avez besoin de repos. »

    Sans plus de cérémonie, deux gardes se postèrent aux côtés de la princesse Luciana pour l'escorter hors de la salle du trône jusqu'à ses appartements. Luciana fronça les sourcils. Elle ne comptait pas partir ainsi. Pourtant, on ne lui laissa pas le choix.

    Luciana tournait en rond depuis de bien trop nombreuses minutes dans sa chambre. Elle n'était pas bête. La princesse avait bien saisi qu'aucun comportement n'était normal autour d'elle. Une future reine n'était pas accueillit d'une telle manière. Il y avait des choses qu'elle ignorait... Et le duc Orlando ne lui inspirait aucune confiance.

    Le lendemain de son arrivée, Luciana comprit pour de bon qu'elle était mise de côté et qu'on essayait de la garder le plus possible dans ses quartiers. Tous les prétextes étaient bons pour lui donner une tâche à faire et qu'elle reste loin de la salle du trône et du duc Orlando. Luciana avait réussi à découvrir qu'Ariana avait été placée dans les cachots. Elle attendait que son jugement pour trahison et tentative de meurtre se déroule. Luciana était encore sous la choc de l'annonce faite par Ariana. Elle n'était pas sa mère biologique.... Jusqu'alors, Luciana n'en avait jamais rien su.

     

    Au second soir de son débarquement, Luciana était inquiète. Elle n'arrivait pas à obtenir une entrevue avec le duc Orlando. Il était évident qu'il ne voulait pas la recevoir... ou qu'il retardait ce moment. Elle se sentait prisonnière dans sa propre demeure.

    Un bruit en provenance d'une des fenêtres attira l'attention de la princesse Luciana. Il se répéta quelques secondes plus tard. Quelqu'un était en train de lancer des petites pierres dessus. La taille des projectiles était trop petite pour pouvoir causer des dégâts et la force avec laquelle ils étaient lancés ne faisait aucune doute : l'individu qui essayait d'attirer son attention ne voulait pas faire éclater le verre. Avec prudence, la princesse ouvrit la fenêtre. Elle plissa les yeux afin de voir un peu mieux dans la nuit. Cependant, elle ne vit rien alors elle sortit sur son balcon. Alors qu'elle posait ses mains sur la balustrade, la princesse se fit heurter au menton. Elle cria et tomba à la renverse sur son balcon.

    « Aïe ! Chut ! Chut, chut ! Pas de bruit.

    Luciana se releva rapidement pour faire face à Julio qui se tenait maintenant en face d'elle, les cheveux en batailles, et avec des brindilles sur ses épaules. Il avait troqué son déguisement de marin pour une tenue de garde royal. Il regarda en bas du balcon afin de s'assurer qu'il n'y avait personne.

    « Puis-je entrer ? »

    Il était, en effet, inconcevable qu'ils restent sur le balcon et Luciana n'avait pas envie de le renvoyer... Du moins, pas sans écouter ce qu'il avait à dire.

    Une fois dans les quartiers de Luciana, Julio prit ses aises. Il prit même le soin de repérer le canapé et de s'y affaler avant de prendre la parole. Ce comportement décontenança la princesse Luciana.

    « Et bien... faites comme chez vous.

    -Oui, c'est bien ce que je fais. »

    En effet, Luciana le constatait. Elle prit place en face de Julio, sur un fauteuil. Ils se dévisagèrent l'un et l'autre pendant quelques secondes. La princesse attendait qu'il lui explique ce qu'il faisait là....

    « Votre nom ?

    -Francesco.

    -Julio... Alvaro... Francesco... Cela fait beaucoup.

    -Je suis comme un caméléon. Mais ma vraie identité est Julio au cas où vous vous poserez la question.

    Luciana continuait de le dévisager. Comment s'était-il procuré cet uniforme ? Et comment avait-il pu s'introduire dans les gardes ?

    -Je sais. Vous avez de nombreuses questions.

    -Quelle est exactement la teneur de votre mission ?

    -Vous... vous êtes ma mission.

    Devant l'air perdu de la princesse, Julio reprit la parole :

    -Le prince Antonio s'inquiétait pour vous. Il n'était pas serein de vous laisser rentrer chez vous, seule. Et visiblement, il avait raison.

    -Qu'êtes-vous exactement ? Un espion de la couronne ?

    Un sourire amusé naquit sur les lèvres du jeune homme.

    -Quelque chose comme cela, oui.

    Luciana digéra l'information. Pendant ce temps, Julio observait attentivement les réactions de la princesse. Il attendit quelques minutes.

    « Quel est votre objectif ? demanda finalement la princesse.

    -M'assurer que vous êtes en sécurité.

    -Je vais accéder au trône. Je suis sur mon territoire. Je suis en sécurité.

    -Personne n'est à l’abri quand du pouvoir est en jeu, princesse. Et, depuis votre arrivée, vous n'êtes pas traité comme une future reine.»

    Luciana se mordit l'intérieur de la joue. Cela, elle en avait conscience, même si c'était difficile de l'admettre et de l'entendre de la part d'une autre personne.

    Julio ne s'attarda pas plus. Il ne pouvait pas rester auprès de Luciana. Il avait son nouveau rôle de garde à tenir et il devait reprendre sa patrouille. Le jeun homme ne pouvait pas passer par la porte, il devait repartir en passant par le balcon. En effet, il devait se faire le plus discret possible et ne pas montrer le moindre lien avec Luciana. Avant de quitter la princesse, Julio l'avertit qu'il allait enquêter sur le passé d'Ariana. Cette annonce ne rassura pas tellement la jeune femme.

    De nouveau seule, Luciana prit le temps de souffler. Encore des informations à digérer. Elle était étonnée que le prince Antonio ne l'ait pas averti de la présence de son ami Julio. Elle aurait aimé qu'on lui demande son avis. Cependant, elle pouvait comprendre qu'il s’inquiète pour elle. Luciana se demanda si Rosella était au courant des décisions qu'avait pris Antonio.

     

    Le lendemain matin, une servante se présenta devant la princesse Luciana pour lui signaler qu'elle était attendue par le duc Orlando. La princesse trouvait très désagréable qu'on la convie de la sorte. D'ordinaire, Luciana serait directement allée voir le duc. Toutefois, il lui semblait important de montrer qu'elle n'était pas à la solde de ses ordres. Luciana n'était pas certaine de prendre une bonne décision. Toutefois, elle se décida à rejoindre le duc Orlando, vingt minutes plus tard.

    La tête haute, la princesse Luciana marchait dans les couloir. Elle avait cru qu'on la convoquait dans la salle du trône mais ce n'était pas le cas. Elle était escortée de gardes dont aucun n'était Julio. Étrangement, la princesse aurait préféré qu'il soit présent en cet instant.

    Les gardes s'arrêtèrent devant la porte d'un bureau privé du château... Et pas n'importe quel bureau... Celui du défunt roi. Ce lieu significatif ne laissait présager rien de bon. Luciana frappa à la porte et attendit qu'on l'autorise à entrer.

    Lorsqu'elle pénétra dans la pièce, le duc Orlando leva à peine les yeux des papiers posés devant lui.

    « Prenez place. Asseyez-vous. »

    Luciana s'avança dans la pièce, jusqu'à se trouver devant le bureau. Cependant, elle prit la décision de rester debout. Le duc Orlando était assis, un vieux monocle vissé sur son œil droit et il lisait une pile de documents. En constatant que Luciana n'était toujours pas assise au bout d'une longue minute, le duc posa les papiers qu'il avait dans les mains et il se redressa sur son siège. Le vieil homme dû lever la tête pour pouvoir parler à son interlocutrice en la regardant. Luciana nota qu'il ne l'avait pas salué en sa qualité de princesse.

    « Nous devons parler, commença le duc.

    Luciana n'aurait pas pu être plus d'accord. Les questionnements se multipliaient et les réponses n'arrivaient pas.

    -Je vous écoute.

    Le duc prit une longue inspiration Il croisa les bras sous son menton.

    -Puisque nous sommes seuls, je vais aller droit au but. Ariana a perdu sa couronne. Le peuple est révoltée contre elle. Et contre vous. Vous êtes parties en me laissant les rênes du royaume. Après ce désastre scandale de tentative de meurtre, vous avez préféré rester là-bas plutôt que de revenir à votre place. Cette décision a eu de graves conséquences.

    Luciana gardait un visage neutre. Ses mains étaient jointes, dissimulées dans son dos. Sans qu'elle s'en rendre compte, la princesse avait commencé à serrer les poings.

    -Ariana et vous avaient déclenché la colère de notre peuple, poursuivit le duc Orlando.

    Il n'y avait pas de fumée sans feu, bien évidement. Toutefois, Luciana trouvait injuste d'être condamnée pour les agissements de sa mère.

    -Vous pensiez que dans ces conditions, vous reviendrez et qu'on vous proclamerait reine ? Que le pouvoir et le destin du royaume vous seraient confiés ?

    Le ton du duc se voulait moqueur. Tout en parlant, il s'était levé. Plus grand que Luciana, c'était maintenant à elle de lever les yeux pour apercevoir son visage.

    -Je suis l'héritière de la couronne et du trône, rappela Luciana plus sèchement qu'elle ne l'aurait pensé.

    La jeune femme n'était pas du genre à parler sèchement ou avec sévérité. Malheureusement, elle se sentait menacée par le discours du duc.

    -Allons... Vous dites cela avec une telle ferveur que je serais tenté de vous croire. Vous n'êtes rien. Vous êtes une usurpatrice de plus et jamais je ne vous laisserais accéder au trône.

    Luciana se prit en pleine face ces dures paroles. Le duc venait de se montrer particulièrement antipathique et virulent. Une usurpatrice ? Il osait lui dire cela ? D'eux deux, elle trouvait que c'était plutôt lui l'usurpateur qui tentait d'accéder au pouvoir. Il était maintenant évident qu'il convoitait le trône.

    -Vous n'avez pas le moindre sang royal contrairement à moi, cracha le duc.

    Sur le visage de Luciana, la surprise apparut. Une nouvelle vérité la frappa.... Le duc Orlando était au courant qu'Ariana n'était pas sa mère biologique.... Et elle apprenait, maintenant, de plus, que le défunt roi n'était pas son père selon les propos du duc. La jeune femme recula d'un pas.

    -J'aurais pensé que vous seriez plus surprise que cela, continua le duc avec un air hautain. Vous n'êtes pas l'héritière légitime. Je suis celui qui doit être couronné.

    Le duc constatait bien que la princesse était en état de choc. Il s'approcha d'elle et lui lança un regard menaçant.

    -Je suppose que vous avez, malgré tout, un attachement pour Ariana. Je ferais en sorte qu'elle soit bien traitée jusqu'à son jugement et qu'elle échappe à une peine de mort et je m'engage à garder vos origines secrètes. Mais pour cela, vous devrez renoncer à la couronne et au trône. N'essayez pas de vous opposer à moi, jeune fille. Vous perdrez. »

    Il était terrifiant de voir à quel point le duc était rempli d'assurance. En face de de lui, Luciana était bien incapable de se montrer aussi menaçante. Dans un tel moment, elle le savait, le silence était son seul et meilleur atout. Il était primordial qu'elle garde son sang-froid.

    N'obtenant aucune réponse de la part de son interlocutrice, le duc Orlando grinça des dents et demanda à Luciana de partir. Il lui intima de réfléchir aux paroles qu'il venait de prononcer et qu'il attendrait une réponse pour le lendemain. C'était le seul délai qu'elle avait pour faire son choix.

     

    Des gardes attendaient Luciana à la sortie du bureau afin de la ramener dans ses quartiers. Un rire amer lui échappa. Les gardes n'étaient pas là pour assurer sa protection. Ils avaient pour rôle de la surveiller. Elle en était certaine. La jeune femme adopta un masque de neutralité alors que des tonnes de pensées se bousculaient dans sa tête. Une chose était certaine, elle avait besoin d'aide.


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